Au cœur de France Travail : quand accompagnement social rime avec violence verbale

Nous livrons ci-dessous le témoignage d’un camarade passé à la moulinette France Travail. Loins des discours officiels, il se dégage de son expérience la violence sociale qui s’abat sur les privés d’emploi jugés inemployables par le patronat et leurs institutions.

Nous appelons l’ensemble des privés d’emploi à se regrouper et se battre collectivement pour le droit au travail et du travail avec des droits !

 

« Jeudi 23 mai 2024, 14 heures, plateforme sociale municipale. Je me rends à mon rendez-vous semestriel d’accompagnement dans le cadre du dispositif RSA, vers lequel sont automatiquement orientés les bénéficiaires de ce revenu. Ma conseillère France Travail était cette fois exceptionnellement présente aux côtés de la conseillère en insertion de la mairie de ma ville de résidence qui suit mon dossier depuis environ trois ans et demi.

Cette conseillère en insertion a donc commencé l’entretien en me demandant comment se passait l' »accompagnement global » que ma conseillère France Travail réalise pour  moi depuis six mois. J’ai répondu, non sans ironie, qu’elle m’avait coup sur coup vanté, dans ce cadre, le bénévolat, orienté vers un emploi qui ne recrute qu’en contrat « adultes-relais« [1], auquel je ne suis pas éligible, et m’avait tout dernièrement imprimé des offres d’emploi en intérim dont le public-cible est les « bénéficiaires de l’obligation d’emploi« [2] ; dont je ne fais pas partie non plus.

Mais plutôt que de reconnaître là le signalement d’une série d’écueils à éviter à l’avenir, la conseillère en insertion a versé tout de go dans la malveillance débridée en me disant que, de toute façon, d’ici 2025, ce sera pour moi 15 heures hebdomadaires de travail obligatoire  ou bien la suspension du RSA. « C’est ça que vous voulez ? »

Je me suis par la suite vu reprocher par ces deux conseillères le fait que je n’acceptais jamais de postuler aux offres qui m’étaient proposées. Je leur ai dit que ceci était faux et que je tenais à leur disposition la liasse des justificatifs de mes candidatures de ces dernières années que j’avais pu rassembler. Je les avais d’ailleurs emportés avec moi au rendez-vous. À ce moment-ci, j’ai souligné le fait que les recruteurs ne répondaient jamais aux candidatures que je leur avais adressées et que parmi ces employeurs potentiels vers qui je m’étais tourné figurait la mairie pour laquelle travaille ma conseillère en insertion. J’ai poursuivi cette remarque en disant que, dans l’éventualité où elle aurait un contact privilégié avec la municipalité, je serais heureux d’avoir de sa part un coup de pouce pour avoir ne serait-ce qu’une réponse à ma candidature et si possible davantage. Son premier réflexe fut alors de me demander où j’avais eu connaissance de ce poste. La réponse fut très simple à donner car il se trouve que je devais le renseignement à ma conseillère France Travail qui me l’avait indiqué elle-même lors d’une séance d’accompagnement global ; laquelle n’a alors pu que confirmer en précisant qu’aucune annonce n’avait parue pour ce poste mais qu’elle avait eu vent de sa vacance entre les murs mêmes de la mairie en sa qualité de conseillère municipale. Ma conseillère en insertion, qui semblait ignorer cette autre fonction de ma conseillère France Travail, a pris son téléphone pour contacter directement l’adjointe au maire en charge des ressources humaines. Hélas, le bureau de madame l’adjointe est fermé le jeudi après-midi.

Après m’être évertué à battre en brèche le scepticisme de ces deux conseillères en tentant d’expliquer que j’avais postulé à beaucoup d’annonces différentes, j’ai ajouté que je me suis plié à l’ensemble des prescriptions qui m’avaient été faites par la plateforme sociale et par la conseillère en insertion elle-même : inscription à Pôle Emploi, parcours PLIE[3] suivi à la MEIF[4] intercommunale, Bilan de compétences, etc. Je leur ai présenté quelques-unes des actions qui m’ont été données à faire par ma conseillère de la MEIF puis dans le cadre du bilan de compétences. La conseillère en insertion a alors commencé par nier le fait que le document que j’avançais pouvait provenir de la MEIF, ce alors que le nom de la structure apparaissait en gros caractères sur la couverture, comme je le lui ai fait remarquer. Il s’agissait de la synthèse d’un test édité par l’entreprise « Performanse » et qui m’avait été donnée à faire au début du parcours PLIE dont je fus bénéficiaire.

Lorsqu’elle a finalement admis que ce test m’avait bel et bien été prescrit par la MEIF, la conseillère en insertion y a jeté un coup d’œil distrait en concluant que ce type de tests ne servait de toute façon à rien et que les conclusions qu’elle jugeait manifestement fantaisistes devaient l’être du fait des réponses que j’y avais apportées. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, mon interlocutrice me montrait ainsi comment passer sans transition de la mauvaise foi à la médisance.

Je lui ai ensuite présenté d’autres documents qui ont reçu le même dédain : « ils sont inutiles et ne disent pas grand-chose« . La conseillère en insertion reconnaissait donc implicitement l’ineptie de ses propres prescriptions. 

Mais loin d’aboutir à un exercice salutaire d’humilité ou de remise en question de ses pratiques professionnelles, la conseillère en insertion a laissé la parole à ma conseillère France Travail qui s’est engagée dans un long monologue pour me dire de la sorte que je mettais systématiquement des obstacles partout et que j’étais inemployable en l’état car je n’avais pas les codes du monde du travail ; soit dit sans jugement, m’a-t-elle assuré. Mais non sans précipitation serais-je tenté d’ajouter ; elle qui, en effet, ne m’a vu dans sa vie, en tout et pour tout, que cinq petites heures à peine. Qu’importe ce détail pour elle qui a énoncé tout ceci en singeant la forme d’une présentation des conclusions d’une analyse psychologique avancée.

La fin du rendez-vous approchait. Toutes les deux ont poursuivi l’estocade en se plaisant à dénigrer mes études en prétendant qu’elles étaient devenues obsolètes et que les employeurs n’aimaient pas les périodes d’inactivité professionnelle. L’entretien de ce jour s’est terminé par le remplissage traditionnel de la grille d’objectifs semestriels qui est envoyée ensuite au conseil départemental, dans laquelle la conseillère en insertion a mis cette fois la mention « réfléchir sur soi par rapport à l’environnement« . Tout un programme !

En conclusion de ce témoignage, au-dessus même des outrances grossières et scandaleuses que j’ai eu à encaisser et que je ne suis pas prêt d’oublier, c’est la stupidité, la brutalité et l’échec cuisant de toute une politique d’accompagnement socio-professionnel qui se dessine. Une politique aveugle, productrice de petites cases rigides, dont la finalité est de donner aux individus le sentiment que les difficultés qu’ils rencontrent sont, quoiqu’ils fassent, la conséquence de leur responsabilité personnelle. À ces deux conseillères qui n’en sont finalement que les fonctionnaires zélées, je dis que je ne suis pas dupe.

PS : Jeudi 30 mai 2024, en fin de matinée, à l’heure où je terminais ces lignes, je recevais un mail de la conseillère en insertion qui avait finalement pu contacter la Direction des Ressources humaines de la mairie au sujet du poste sur lequel ma conseillère France Travail m’avait positionné. Elle me transmettait ainsi le rejet de ma candidature par la mairie en me disant que je n’avais pas les qualifications et connaissances nécessaires pour ce poste et qu’une formation « sur le tas » ne suffisait pas pour éventuellement palier ce manque. Et j’apprenais en plus que mon CV manquait de précisions au goût de cette mairie. CV que j’ai pourtant élaboré en suivant les instructions qui m’avait été données à la MEIF intercommunale dans le cadre de mon parcours d’insertion. »

 

[1] Pour être bénéficiaire de ce type de contrat, il faut notamment être résident d’un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV).

[2] Les bénéficiaires de l’obligation d’emploi sont énumérés dans l’article L5212-13 du Code du travail. Ce sont les travailleurs handicapés ; les victimes de certains accidents du travail ; les titulaires d’une pension d’invalidité ; les invalides et victimes de guerre ; les sapeurs-pompiers allocataires d’une rente d’invalidité ; les titulaires de la carte « mobilité-inclusion » ; les titulaires de l’allocation adultes handicapés (AAH).

[3] Plan local pluriannuel pour l’insertion et l’emploi.

[4] Maison de l’emploi de l’insertion et de la formation.