Collectif Notre assurance chômage : analyse du projet du gouvernement et idées reçues

Nous publions ci-dessous l’excellente note produite par le Collectif Notre Assurance-Chômage sur le futur projet de gouvernement et les idées reçues sur lesquelles il repose !

Le projet de réforme de l’assurance chômage : une réforme contre les chômeur·euses et les salarié·es

Si elle est menée à son terme selon les orientations annoncées, la réforme de l’assurance chômage lancée par l’exécutif à l’automne 2022 réduira encore le nombre de chômeur·euses indemnisé·es et accentuera les inégalités déjà criantes entre les chômeurs·ses. Plus largement, elle mettra en cause le principe d’un droit à indemnisation et affaiblira les possibilités pour les salarié·es de négocier salaires et conditions de travail. Décryptage.

 

  • Des demandeur·ses d’emploi qui travaillent souvent et sont rarement indemnisé·es

La protection contre le chômage en France n’a cessé de se dégrader depuis 20 ans. 3 éléments caractérisent aujourd’hui le chômage et son indemnisation.

  • La part des demandeur·ses d’emploi qui reçoit une allocation d’assurance chômage est faible : 38 % des personnes inscrites à Pôle emploi sont effectivement indemnisées[1] un mois donné.
  • Parmi les inscrit·es, ils sont 57 % à être indemnisables, c’est à dire éligibles à l’indemnisation, un mois donné[2]. Les allocataires qui travaillent ne sont pas indemnisés lorsque la rémunération tirée de leur activité est supérieure au montant qu’ils toucheraient en étant exclusivement au chômage. Cette situation renvoie à une transformation plus générale du chômage : Aujourd’hui, un grand nombre d’inscrit·es à Pôle emploi travaillent. Fin juin 2022 parmi les 5,15 millions de personnes inscrites à Pôle emploi en France métropolitaine et soumises à l’obligation de recherche d’emploi, près de 2,2 millions ont travaillé le mois précédent[3]. Depuis 20 ans, la part des allocataires qui travaillent a plus que doublé[4], et les deux tiers des allocataires ont déjà travaillé au moins une fois durant leur parcours d’indemnisation[5].
  • Depuis 2017, l’exécutif s’est arrogé des prérogatives croissantes concernant les règles de l’assurance chômage. Il a remplacé la part salariale des cotisations prélevées sur les salaires à destination de la caisse d’assurance chômage par un impôt, la CSG (Contribution sociale généralisée)[6]. Il a encadré le pouvoir des organisations syndicales et patronales de déterminer les règles d’assurance chômage par la négociation via la loi du 5 septembre 2018 sur la liberté de choisir son avenir professionnel.

 

  • Une réforme qui réduirait encore l’accès à l’indemnisation et mettrait en cause l’existence d’un droit à l’indemnisation

L’assurance chômage en maintenant un revenu à de nombreux chômeurs soutient la demande lorsque la conjoncture se dégrade : elle est donc déjà contracyclique (davantage de personnes sont indemnisées en période de récession). En revanche à travers la loi dite « plein emploi » l’exécutif entend diminuer (encore) les droits à indemnisation des demandeur·ses d’emploi en modulant les droits en fonction de la conjoncture.

  • Le gouvernement propose d’introduire une modulation des droits à indemnisation en fonction de la conjoncture économique. En période faste, les chômeur·ses seraient moins bien couverts qu’en période de récession, en toute inégalité. Les paramètres ne sont pas précisément connus. Selon les déclarations du ministre du Travail, le montant de l’indemnité ne serait pas modulé. La modulation réduira les droits des allocataires à travers une plus grande sévérité des conditions à remplir pour être éligible à l’indemnisation (durée, période de référence) et / ou une réduction de la durée d’indemnisation, à l’instar de l’exemple canadien.

A rebours de ce qu’est un droit, le ou la salarié·e ne pourrait pas prévoir s’il est éligible à l’assurance chômage et pendant combien de temps, ni même si ce droit va évoluer au cours de sa période de chômage. Cette mesure enfreint le principe d’égalité de traitement : deux salarié·es qui ont travaillé la même durée, au même rythme et pour un même salaire n’auront pas la même indemnisation selon la conjoncture. Ces dispositions dissimulent en fait une nouvelle baisse des droits à indemnisation.

 

  • Une réforme dont les conséquences pèseront sur l’ensemble des salarié.e.s

Apparemment de bon sens, la modulation fait comme si l’économie française était homogène. L’ensemble des secteurs ne sont pas soumis aux mêmes cycles et dans le même temps. Il s’agit donc de contraindre les salarié·es et les demandeur·ses d’emploi à changer de secteurs pour aller vers les secteurs « en tension » (qui se caractérisent souvent par de mauvaises conditions de travail, un fort turnover et de faibles rémunérations). Cette réforme aura donc pour effet de faire pression sur les salariés et de contenir leurs revendications.

  • En dégradant les conditions d’indemnisation, les salarié·es seront poussé·es à prendre des emplois non conformes à leur qualification dont les conditions de travail sont mauvaises.
  • L’incertitude sur la pérennité de leurs revenus dissuadera les allocataires d’entamer des parcours de réorientation et de formation professionnelle, pourtant bénéfiques pour le retour à l’emploi.
  • Sans créer d’emplois, la réforme pourrait donc dégrader le marché du travail pour les moins qualifié·es, repoussé·es dans l’« armée de réserve ».
  • In fine, elle réduirait donc la possibilité de choisir l’emploi repris après une période de chômage, de s’appuyer sur l’indemnisation pour changer d’emploi et la possibilité de négocier ses conditions de travail et de rémunération, avec le risque d’une pression à la baisse sur l’ensemble des salaires.

L’objectif de plein emploi ne peut se réduire à un indicateur purement quantitatif sans considération pour le nombre d’heures travaillées, la rémunération, les conditions de travail.

 

  • Le scandale démocratique : une réforme qui concerne le salariat dans son ensemble adoptée par décret

Malgré le pouvoir très limité laissé aux partenaires sociaux dans le cadre actuel, le gouvernement se contente d’ouvrir une concertation avec les organisations syndicales et patronales (et non une négociation, comme le prévoit l’article 57 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel).

Le projet de loi indique clairement que les nouvelles règles d’indemnisation seront déterminées par décret. Après avoir vidé la démocratie sociale de sa substance, le gouvernement choisit donc de contourner le débat parlementaire.

Réformer l’assurance chômage permettra-t-il de limiter les pénuries de main-d’œuvre ?

Le discours récurrent avancé par l’exécutif est le suivant : « il est inacceptable que coexistent un taux de chômage de 7,4 % et des pénuries de main-d’œuvre. Il faut rendre l’assurance chômage plus incitative ». Autrement dit, le gouvernement explique les pénuries de main-d’œuvre par les caractéristiques de l’assurance chômage, taxée en l’occurrence d’être trop généreuse.

Or, seuls 38 % des demandeurs d’emploi sont indemnisé.es et parmi ces 38 % un grand nombre travaillent (et cumulent salaire et indemnisation) et d’autres ne travaillent pas un mois donné mais travaillent le suivant.

Concernant la prétendue générosité de l’assurance chômage les indemnisés reçoivent en moyenne 960 € / mois. 50 % des allocataires ont droit à une indemnité journalière inférieure à 34€ en mars 2022[7].

Par ailleurs, ce discours permet d’occulter toute analyse sur les « pénuries de main-d’œuvre », notamment sur le nombre de postes et les secteurs effectivement concernés, les éléments d’explications des tensions existantes et les préconisations pour y remédier. Concernant les difficultés de recrutement, le lien entre difficultés de recrutement et mauvaises conditions de travail et de rémunération est pourtant largement démontré[8].

[1] Données France entière. Source : Pôle emploi – DARES, STMT, CVS-CJO. Taux de couverture calculé sur les catégories ABCDE+DRE en mai 2022.

[2] Données France entière pour T3 2021. Source : Pôle emploi, CVS. Taux de couverture calculé sur les catégories ABCDE + DRE.

[3] Pôle emploi-Dares, STMT, données CVS-CJO.

[4]https://www.unedic.org/sites/default/files/2019-04/Unedic-Eclairages%20allocataires%20qui%20travaillent-mars%202019.pdf

[5] https://www.unedic.org/sites/default/files/2017-04/unedic_-_etude_activite_reduite_-_octobre_2013_2.pdf[5].

[6] La caisse d’assurance chômage gérée par les partenaires sociaux, couvre plus de 17 millions de salarié.es. Ses recettes s’élèvent à plus de 36 milliards d’euros par an dont 11% sont prélevés par l’Etat pour financer l’accompagnement de l’ensemble des chômeur.ses par Pôle emploi.

[7] Source FNA, calculs Unédic.

[8] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quelle-relation-entre-difficultes-de-recrutement-et-taux-de-chomage