FRANCE TRAVAIL : LA REFORME CONTRE LES TRAVAILLEURS

Voilà plus de 150 ans, Marx expliquait le lien entre capitalisme, chômage de masse, et faiblesse des salaires. Très concrètement, plus il y a de salariés sans emploi et donc sans ressources, ce que Marx appelle l’« armée de réserve industrielle », plus les salariés se font concurrence pour décrocher un emploi. Cette concurrence entre les salariés se traduit par un rapport de force encore plus favorable au patronat, ce qui tire mécaniquement les salaires vers le bas.

Ce raisonnement semble plus vrai que jamais, et chaque décision du gouvernement va dans le sens d’un renforcement de cette armée de réserve, prête à tout pour travailler, toujours plus nombreuse et soumise au capital. A travers le projet France travail, le gouvernement mobilise cette armée de réserve selon les besoins du patronat   

En bout de course, c’est bien l’ensemble des 26 millions de salarié·e·s français qui sont concernés par ces mesures, qui promettent des négociations de plus en plus compliquées avec le patronat, notamment en matière de salaires. Un comble, lorsque nombre d’entreprises licencient en masse et laissent sur le carreau des milliers de salarié.es.

En janvier 2025 toutes les dispositions de la loi plein emploi dite France travail entreront en vigueur.  Si cette réforme a surtout fait parler d’elle en raison des impacts qu’elle aura sur les privé.es d’emploi[1], c’est aussi une attaque généralisée contre le salariat.  Personne n’est à l’abri de connaitre un épisode de chômage et surtout  cette réforme crée une armée de réserve gratuite pour le patronat.

 L’armée de réserve du gouvernement, vers la fin du rapport de force des travailleurs ?

Le gouvernement, toujours au service des entreprises, lui sert par le biais de France travail, nombre de travailleurs à bas coût sur un plateau.

La mise en place de France travail conditionne le RSA ainsi que l’allocation chômage à 15h minimum d’activité par semaine. Si la loi prévoit un minimum, il n’y a en revanche pas de maximum.  On pourrait donc supposer qu’un allocataire doive travailler 35h/ semaine pour percevoir son RSA – soit 635 euros. Alors même que la disposition n’est pas encore étendue, de nombreux allocataires de l’assurance chômage témoignent de situations de travail -déguisé en formation- rétribué uniquement par l’allocation chômage[2].

Tous les secteurs sont concernés : hôpital public, fonction publique territoriale, entreprises privées, éducation nationale … De cette disposition découlent en réalité des conséquences gravissimes pour les salarié·es privé·es d’emploi comme pour ceux en emploi :

Les conditions de travail et de rémunération : lorsque dans la même entreprise il y aura concurrence entre les  salarié·es et des allocataires du chômage ou  bénéficiaires du RSA , il est évident que le rapport de force ne sera pas en faveur des salarié.es. La main d’œuvre gratuite est une aubaine pour le patronat. Avec la mise en place de ce dispositif d’activité financé par le régime d’assurance chômage ou de sécurité sociale l’employeur n’a pas de raison de revoir les conditions salariales. Il aura à sa disposition de la main d’œuvre gratuite et malléable.

Le bénéficiaire du RSA / chômage ne sera pas lié à l’employeur par un contrat de travail. Il sera uniquement lié à l’opérateur France travail par un contrat d’engagement. Il sera donc exclu des accords (branche/ entreprise) ou même du code du travail.   La responsabilité en cas d’accident du travail, semble, de fait, ne plus être imputable à l’employeur mais bel et bien à l’opérateur France travail.

  • La syndicalisation : aujourd’hui, pour les salarié.es précaires, se syndiquer est complexe et constitue bien souvent un risque. Complexe parce la précarité suppose de changer régulièrement d’entreprise et donc de changer de syndicat. Mais cela constitue un risque de ne pas voir sa période d’essai ou son contrat renouvelé.. Au sein donc des entreprises, les emplois vacants seront comblés par des travailleur·euses non salarié·es, précaires, non syndiqué·es aux mêmes postes que les salarié.es. La mise en place de France travail est en réalité la mise en place d’une concurrence entre travailleurs·euses au sein des entreprises.

 France travail : l’assurance emploi des entreprises

Depuis plusieurs années, patronat et politiques se relaient pour justifier ces nouvelles réformes et en particulier celle de l’assurance chômage, en criant au « refus du travail », qui expliquerait les difficultés de recrutement des entreprises. Pourtant, comme le montrent plusieurs études[3] de la Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (DARES) portant sur les difficultés de recrutement (aussi appelées « tensions sur le marché du travail »), elles sont largement déterminées par  le manque d’attractivité de certains métiers, autrement dit les mauvaises conditions de travail (contrats courts, temps partiel, pénibilité, etc.) ou de rémunération.

Ainsi, au-delà de créer une armée de réserve de travailleuses et travailleurs, cette réforme sert surtout d’assurance aux entreprises en manque de main d’œuvre : les secteurs dits en tension pourront disposer de candidats, regroupés en viviers de chômeurs, recrutables selon leurs conditions, sous peine de radiation par France travail. Une sacrée aubaine pour le patronat !

De la même manière, la création de France travail laisse entrevoir une évolution importante des missions de Pôle Emploi/ France travail, vers une agence de placement des privé·e·s d’emploi pour n’importe quel emploi disponible. Cette réforme impliquera donc une paupérisation encore plus forte des privé·e·s d’emploi qui ont, rappelons-le, cotisés pour leurs droits au chômage. Et cet appauvrissement est bien la condition centrale qui garantit au patronat que même les emplois pénibles et mal rémunérés trouveront preneurs.

France travail ou la coercition pour l’emploi précaire

Au-delà de la concurrence entre travailleur·euses qu’instaure France travail,un autre aspect est à prendre en compte quant à la fragilisation des salarié.es en emploi. Depuis quelques années, le gouvernement réduits non seulement les droits au chômage mais il en restreint également l’accès. La démission, l’abandon de poste, le refus de CDI après un CDD n’ouvrent plus droit à indemnisation[4]. Désormais il sera obligatoire d’effectuer un certain nombre d’heures d’activité pour en bénéficier. Dans ce contexte de stigmatisation, de contrôle et d’indemnisation faible du chômage les travailleurs préféreront accepter des conditions précaires et dégradées d’emploi que de prendre le risque d’être en situation de chômage.

Car il ne faut pas s’y tromper, lorsque le gouvernement parle de plein emploi il ne s’agit pas d’emploi pérenne. Le plein emploi de Macron c’est le plein emploi précaire des CDD, de l’intérim et des temps partiels.

France travail une pierre à l’édifice de la destruction de la protection sociale

La mise en œuvre de France travail s’ajoute non seulement aux réformes successives d’assurance chômage mais plus globalement à toutes les mesures prises contre les services publics. Non seulement car France travail implique la privatisation du service public de l’emploi à travers un recours massif aux prestataires privés mais aussi parce que les postes occupés par les inscrits à France travail seront en partie des postes d’agents de la fonction publique. Le désengagement de l’Etat est total et à tous les niveaux. Education, hôpital, emploi… A l’heure où les entreprises licencient à tour de bras par le biais de PSE, l’Etat détruit l’accompagnement des privé·es d’emploi grâce à France travail. La réforme des retraites, du chômage, de la formation professionnelle, du RSA, les annonces du ministre S. Guerini sur le statut de la fonction publique, le doublement des franchises médicales[5]… convergent vers un affaiblissement global de la protection sociale que les plus précaires paieront de leur vie par des mauvaises conditions de travail un manque d’accès aux soins, ou par manque de moyens pour survivre.

Pour une protection sociale forte et intégrale

L’attaque est coordonnée et la CGT doit se mobiliser pour faire face à la paupérisation générale des travailleurs et travailleuses. C’est pourquoi, notre organisation appelle à des actions sur tout le territoire en lien avec les Comités des travailleurs·euses privé·es d’emploi et précaires, le 24 mai prochain à l’occasion d’une mobilisation contre la nouvelle réforme à venir de l’assurance chômage.

C’est à ce titre que la CGT revendique :

 Le droit à un contrat à durée indéterminée ou à un emploi statutaire à temps complet ;

  • L’indemnisation de tou·tes les privé·es d’emploi à hauteur de 80 % du salaire antérieur et a minima au niveau du Smic à 2000€ ;
  • L’instauration d’une protection sociale intégrale pour toutes et tous de manière à donner aux privé·es d’emploi les moyens de trouver un emploi pérenne ;
  • Le maintien des droits du salarié acquis dans son dernier emploi dans une période de transition entre deux emplois, ou le plus favorable en cas d’emploi précaire.

[1] https://analyses-propositions.cgt.fr/loi-plein-emploi-france-travail-et-le-reseau-pour-lemploi-une-attaque-generalisee-contre-la

[2] https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/220424/chanel-fabrique-et-vend-des-produits-grace-pole-emploi

[3] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quelle-relation-entre-difficultes-de-recrutement-et-taux-de-chomage

[4] https://analyses-propositions.cgt.fr/loi-plein-emploi-france-travail-et-le-reseau-pour-lemploi-une-attaque-generalisee-contre-la#_ftnref2

[5] https://analyses-propositions.cgt.fr/memo-secu-ndeg21-les-franchises-medicales-contre-lacces-aux-soins