Deux réformes de l’assurance chômage ont diminué fortement le montant et la durée d’indemnisation du chômage depuis 2021. Le gouvernement envisage de réduire une nouvelle fois les protections contre le chômage.
Les principales mesures annoncées par Attal sont les suivantes : durcissement des conditions d’éligibilité à l’indemnisation (avoir travaillé plus longtemps sur une période plus courte), report de l’entrée dans l’indemnisation prolongée pour les seniors, et réduction de la durée d’indemnisation (maximum à 15 mois) pour tous les allocataires ayant travaillé plus de 20 mois; parallèlement suppression de l’ASS (par un autre texte).
Les effets prévisibles sont une nouvelle baisse importante du taux de couverture de l’assurance chômage qui n’indemnise déjà que 4 chômeurs sur 10, et une aggravation des effets de la réforme des retraites pour les seniors sans emploi.
Alors que les comptes de l’assurance chômage sont excédentaires et que les précédentes réformes ne sont pas encore évaluées, rien ne justifie ni cet acharnement ni cette précipitation à réformer à nouveau. L’effet cumulé des réformes du chômage depuis 2019 apparaît sans précédent historique.
Contrairement aux déclarations du PM, les effets des réformes précédentes sur l’emploi ne sont pas encore évalués, et ni les économistes ni les services du ministère n’anticipent de cette nouvelle réforme d’effets forts sur le taux de chômage.
Les motivations réelles du gouvernement sont à la fois de se servir de l’assurance chômage pour diminuer le déficit de l’Etat (la réforme devrait générer 3,7 milliards d’économie supplémentaire par an en régime de croisière), et de mettre sous pression l’ensemble des salariés en emploi ou non sur le marché du travail.
Résumé des épisodes précédents
Depuis le début du premier quinquennat Macron, les réformes d’assurance chômage se succèdent sans interruption. Après une réforme du financement et la dépossession de fait des partenaires sociaux de la gouvernance de l’Unédic en 2018, deux réformes de réduction des droits à indemnisation ont été imposées, contre les organisations de salariés unanimes :
- une réforme de l’éligibilité et du calcul de l’indemnité en 2021.
- un raccourcissement de 25% de la durée maximale d’indemnisation en
Du fait de ces deux réformes, l’indemnisation a baissé de 20 % en moyenne depuis la réforme de 2021, bien plus pour certains publics (ceux qui ont eu un parcours fragmenté, les jeunes, etc.). Parallèlement, la part des personnes indemnisées parmi celles inscrites à France Travail a fortement diminué. En 2023, seules 41,8 % des personnes inscrites à France travail étaient indemnisées.
Par ailleurs la réforme des retraites intervenue en 2023 conduira, elle, à prolonger la période de chômage et d’inactivité des seniors avant la retraite, maintenant de l’ordre de 150 000 personnes de plus au chômage ou dans les minima sociaux selon les estimations des administrations.
Les mesures envisagées par le gouvernement
Un nouveau décret durcissant les règles d’indemnisation du chômage sera pris début juillet, pour application au 1er décembre 2024. Les pistes qui semblent retenues à ce stade :
Principales mesures :
- Durcissement des conditions d’accès à l’indemnisation (allongement de la période de travail nécessaire, passage à 8 mois dans les 20 derniers mois au lieu de 6 mois dans les 24 derniers mois). Pour rappel, avant 2019 (puis pendant le COVID), il fallait 4 mois d’emploi sur 28 mois pour être indemnisé.
- L’âge d’accès à la durée d’indemnisation rallongée est reporté à 57 ans (contre deux seuils à 53 et 55 ans antérieurement) et la durée d’indemnisation maximale est réduite (22,5 mois max contre 36 mois à partir de 55 ans auparavant).
- Au regard du mode de calcul actuel de l’indemnisation, le raccourcissement de la période d’affiliation à 20 mois aura pour effet un raccourcissement de la durée d’indemnisation pour toutes les personnes qui ont travaillé plus de 20 mois dans les 24 derniers mois. De fait, la durée maximale d’indemnisation sera portée à 15 mois (20 x 0,75).
De plus, le Premier Ministre a annoncé sa volonté de supprimer l’Allocation de Solidarité Spécifique (ASS), une allocation de 570€/mois (maximum) pour les demandeurs d’emploi en fin de droits. Cette réforme passera par un autre texte (PLF ?) mais pourrait entrer en vigueur presque simultanément début 2025.
D’autres mesures sont annoncées dans le cadre du décret assurance chômage, notamment :
- « Bonus emploi senior » : si un senior indemnisé reprend un emploi dont le salaire est inférieur à son salaire brut perdu, l’assurance chômage compensera la perte de salaire à hauteur de 1 000€ maximum par mois pendant un an (la mesure semble pour l’instant imprécise, le risque d’effet d’aubaine côté employeur paraît énorme).
- Création d’un nouveau seuil de réduction de la durée maximale d’indemnisation si le taux de chômage BIT passe sous les 6,5% (« contracyclicité »).
- Elargissement du bonus/malus sur les cotisations employeurs ; comme lors de la mise en place en 2021, la seule mesure concernant les employeurs est renvoyée à une date ultérieure suite à une concertation de plusieurs mois.
-
Les effets à attendre
Les effets certains sont une dégradation de la protection contre le chômage, en montant (les non éligibles auront 0€) et/ou en durée. Ces effets concernent tous les salariés, mais certains sont particulièrement concentrés sur les publics plus fragiles, jeunes, seniors et précaires.
Mesure envisagée par le gouvernement | Effets | Public particulièrement touché | |
Ré haussement du seuil d’éligibilité au chômage | Baisse de la part de chômeurs indemnisés | Jeunes | |
Plus de public directement aux minima sociaux (les moins de 25 ans non éligibles) | Précaires | ||
Réduction de la durée d’indemnisation (15 mois max) | Tout le monde | ||
Report de l’âge d’entrée dans la filière Seniors | Baisse de la part de chômeurs indemnisés | Seniors | |
Suppression de l’ASS (probablement dans une loi de finance à l’automne ?) | Bascule immédiate à l’absence de prestation ou au RSA (selon les revenus du ménages), perte de revenu
|
Chômeurs de longue durée | |
Pas de validation automatique de trimestre de retraite, potentielle décote supplémentaire | Seniors |
Le gouvernement dit attendre une création de 90 000 emplois liés à la réforme. Ce chiffre (relativement faible à l’échelle du marché du travail) n’est pas documenté.
- Illustration par des cas types des principaux effets de la réforme
Effet | Profil | Situation d’emploi | Avant les réformes 2021-2023 | Situation actuelle (réformes 2021 et 2023) | Projet de réforme 2024 |
Durée d’indemnisation maximum | |||||
Éligibilité | Sarah, 20 ans | 1er CDD de 6 mois de juin 2024 à novembre 2024. | 6 mois | 6 mois | Aucun droit au chômage. Aucun droit au RSA (moins de 25 ans) |
Report de la filière Senior | Nadia, 55 ans | Licenciée pour inaptitude après 25 ans dans la même entreprise | 3 ans | 2 ans et 3 mois | 1 an et 3 mois |
Raccourcissement de la durée (effet du changement de mode de calcul sur 20 mois) | Inès, 35 ans | Perte d’emploi (rupture conventionnelle, fin de contrat ou licenciement) | 2 ans | 1 an et demi | 1 an et 3 mois |
Pour les seniors le raccourcissement de l’indemnisation chômage, et la suppression de l’ASS aggravent les effets de la réforme des retraites :
Mathieu est né en 1960. Licencié à 56 ans en 2016, avant les réformes des retraites et de l’indemnisation chômage. Il était couvert par trois années de chômage puis trois années d’ASS. Au chômage comme à l’ASS il peut valider des trimestres de retraite. Il prend sa retraite à 62 ans à taux plein.
Mathias né en 1968. Licencié à 56 ans en décembre 2024. Si la réforme s’applique il n’est couvert que par 1 an et trois mois de chômage, puis bascule aux minima sociaux (ex : RSA) pendant 6 ans et neuf mois, s’il ne retrouve pas d’emploi. Il prend sa retraite à 64 ans avec une décote (le RSA ne permet pas systématiquement de valider de trimestres de retraite comme l’indemnisation chômage et l’ASS).
Les motivations réelles du gouvernement
Alors que Gabriel Attal dit dans son interview, s’appuyer sur les résultats des évaluations des réformes précédentes, ces effets sur l’emploi ne sont pas encore évalués, et durcir les règles, aura probablement un effet très faible sur l’emploi de l’avis général des économistes ( Cf. par exemple l’interview de Daphnée Skandalis, ou Esther Duflo). Les services du ministère du travail partagent cette analyse.
Les motivations réelles du gouvernement sont de deux ordres.
– Faire des économies en se servant de l’assurance chômage pour réduire le déficit de l’Etat (pas de l’assurance chômage).
Depuis 2022, suite aux différentes réformes, les dépenses de prestations chômage devraient déjà diminuer de 6,7 milliards d’économie par an à horizon 2027.
L’assurance chômage est actuellement excédentaire. L’enjeu n’est donc pas d’équilibrer les comptes de l’assurance chômage, mais de générer un excédent que l’Etat ponctionne par la suite pour financer différentes missions dont il a la charge. En résumé, la réforme diminue les indemnités chômage, pour permettre à l’Etat de récupérer une partie des recettes de cotisations (CSG et cotisations employeur) à d’autres fins que l’indemnisation des chômeurs.
– Modifier le fonctionnement du marché du travail en diminuant le pouvoir de négociation des salaires et des conditions de travail
- Au moment de la recherche d’emploi, parce que des droits plus courts et d’un montant plus faible diminuent la capacité à rechercher un emploi adéquat
- En emploi, parce que la menace de licenciement/non renouvellement de contrat conduit à accepter des conditions de travail plus difficiles.
- Eléments de contexte et sources supplémentaires (et références en lien) :
- L’assurance chômage en France n’est pas particulièrement protectrice en comparaison européenne, même avant la réforme de 2021.
– Près de 40 % des personnes au chômage vivent sous le seuil de pauvreté (ainsi que leurs enfants et leur conjoint).
– Plus de la moitié des salariés touchent au moins une fois une indemnité chômage au cours de leur carrière.
– Le taux de couverture de l’assurance chômage est déjà à un niveau historiquement bas.
- L’évaluation intermédiaire de la DARES conduite sur la réforme de 2019 (réforme du calcul des indemnités) ne démontre pas à d’effets bénéfiques sur le niveau d’emploi (contrairement à ce que le gouvernement laisse souvent entendre). Elle conclut (p.79) :
- A une baisse de l’indemnisation (montant)
- A une baisse des demandes d’indemnisation (nombre de personnes indemnisées)
- A une accélération de la reprise d’emploi à l’approche de la fin d’indemnisation. Cette accélération s’accompagne d’un moins bon appariement (les emplois repris par les personnes qualifiées correspondent moins aux qualifications, au détriment d’autres demandeurs d’emploi moins qualifiés) ; la reprise d’emploi se fait sur des contrats plus courts (et donc possiblement un retour au chômage plus rapide).
- Pas d’effet mesuré à ce stade sur le niveau du chômage.
Il faut attendre la remise du rapport final de l’évaluation fin 2024 pour connaître plus précisément l’ensemble des effets.