La nouvelle convention tripartite 2019-2022 (qui définit les objectifs et la politique de Pôle Emploi pendant 3 ans) modifie ce que Pôle Emploi appelle dans son langage l’« offre de service », c’est-à-dire les différentes prestations d’accompagnement qui seront proposées aux demandeurs d’emploi.
Si les prestations Activ’Créa et Activ’Projet (qui concernent respectivement l’aide à la création d’entreprise et la définition d’un projet professionnel, notamment de formation) sont conservées et toujours sous-traitées au privé, plusieurs nouvelles prestations ont commencé à être proposées dès la mi-août :
- AccélèR’emploi remplace Activ’Emploi comme prestation d’accompagnement généraliste
- Deux nouvelles prestations pour les travailleurs précaires (demandeurs d’emploi inscrits en catégorie B et C), qui s’intituleront « Toutes les clés pour mon emploi durable » (EMD) ou « Un emploi stable c’est pour moi » (EMS) selon les régions
AccélèR’emploi
Comme Activ’Emploi avant elle, AccélèR’emploi est présentée par Pôle Emploi comme une prestation généraliste, d’appui à la recherche d’emploi, pour les demandeurs d’emploi « ayant un projet professionnel défini, proches de l’emploi », ceux que Pôle Emploi qualifie d’ « autonomes » dans leur recherche d’emploi.
La prestation sera collective (ce que Pôle Emploi appelle « en promotions ») et durera 2 mois (au lieu de 3 mois pour Activ’Emploi) dès qu’un groupe de 5 chômeurs minimum sera constitué, en 2 phases :
- une phase de 4 semaines avec 6 ateliers collectifs obligatoires, les deux premiers seront regroupés sur une même journée avec prise en charge du repas (« afin de créer la dynamique de groupe dès le démarrage de la prestation » selon Pôle Emploi)
- Une seconde phase de 4 semaines, avec des ateliers optionnels et des contacts hebdomadaires avec le consultant attitré, la participation à des « animations » (exemple : informations sur le marché du travail…) et des « évènements entreprise » comme des forums emploi, séances de job dating…
Sa mise en œuvre débutera à partir de mi-septembre / début octobre 2020, avec l’objectif d’y inscrire 145 000 demandeurs d’emploi en année complète.
Toujours plus de pognon pour gaver le privé sur le dos des chômeurs, toujours plus loin dans la privatisation de Pôle Emploi
Alors qu’Activ’Emploi était régulièrement dénoncée par le CNTPEP comme une prestation bidon ne servant qu’à enrichir les « opérateurs privés de placement », Pôle Emploi maintient sensiblement le même contenu et les mêmes conditions de sous-traitance au privé, mais avec un nom différent.
Le prestataire recevra une rémunération à chaque privé d’emploi qui y est inscrit de force (« rémunération à l’acte ») avec une prime en cas de retour à un « emploi stable » suite à la prestation (un CDD de 6 mois minimum suffit pour déclencher cette prime, ce qui montre le cynisme de Pôle Emploi qui fait passer un contrat précaire pour un emploi stable).
Par ailleurs, en plus du rejet massif de cette prestation par les chômeurs, le dernier rapport de la Cour des comptes sur la gestion de Pôle Emploi confirme que les objectifs du nombre de demandeurs d’emploi à inscrire de force à Activ’Emploi se réduisaient d’année en année, les conseillers eux-mêmes en critiquant le contenu ! Comme l’avoue même le syndicat CGC de Pôle Emploi, c’est certainement pour « éviter de rappeler de mauvais souvenirs » à la fois aux privés d’emploi comme aux conseillers que la Direction générale de Pôle Emploi a décidé de changer le nom de cette prestation, pour maintenir l’objectif de la privatisation du service public de l’emploi.
« Toutes les clés pour mon emploi durable » (EMD) ou « Un emploi stable c’est pour moi » (EMS)
Ces deux prestations presque identiques sont à destination des privés d’emploi « alternant périodes d’emploi et de chômage » et remplissant les conditions suivantes :
« – A alterné plusieurs périodes d’emploi et des périodes sans emploi ;
– A été en emploi pendant une période cumulée de 6 mois au moins ;
– Cette activité représente entre 40% et 60% de la période sur laquelle elle a été cumulée. »
Ce qui correspond principalement aux demandeurs d’emploi inscrits en catégorie B et C, mais Pôle Emploi a également élargi la prescription de la prestation aux chômeurs qui alternaient chômage et contrats précaires avant le Covid 19 et leur passage en catégorie A (aucune heure travaillée dans le mois précédent).
La prestation durera 3 mois, suivis de 2 mois « d’observation » où le prestataire privé pourra proposer au demandeur d’emploi des actions complémentaires :
- Un entretien individuel avec le prestataire (référent) pour « identifier les besoins du bénéficiaire »
- Une phase de 2 à 3 semaines, avec 1h30 « d’atelier de dynamisation » et 3 ateliers collectifs de 45min, 30mn d’entretien en fin d’étape
- Une seconde phase de 3 ateliers de 45mn + 1 fois 10mn de rendez-vous individuel avec le référent
- Atelier et entretiens individuels peuvent se dérouler jusqu’à 20h30 en semaine et le samedi de 8h à 13h
- Entrées et sorties « permanentes », si « le bénéficiaire est prêt à être recruté »
- Un entretien de bilan en fin de prestation
Dans les régions Normandie, Pays-de-la-Loire, Auvergne-Rhône-Alpes ou Occitanie elle s’appellera « Un emploi stable, c’est pour moi » ; le prestataire y sera payé « au résultat », c’est à dire pour chaque privé d’emploi d’inscrit + une prime de résultat en cas de retour à un « emploi stable » (une mission d’intérim ou un CDD de plus de 6 mois seulement…).
Dans les régions Bourgogne-Franche-Comté, Bretagne, Centre-Val de Loire, Corse, Grand Est, Hauts de France, Ile de France, La Réunion, Nouvelle-Aquitaine, Provence-Alpes Côte d’Azur elle s’appellera « Toutes les clés pour mon emploi durable » ; le prestataire y sera payé « à l’acte », c’est-à-dire pour chaque privé d’emploi inscrit.
Les régions Martinique, Guadeloupe, Mayotte et Guyane ne seront pas concernées car concentrant trop peu de demandeurs d’emploi de catégorie B et C.
Sa mise en œuvre débute à partir de la mi-juillet 2020, avec l’objectif d’y inscrire 240 000 demandeurs d’emploi en année complète, pour un budget de 92 millions d’euros.
Convocation et refus d’adhérer à la prestation
Pôle emploi envoie un courrier aux chômeurs ciblés, pour les informer que le prestataire privé les contactera sous 21 jours (obligatoirement par téléphone sinon par mail en l’absence de téléphone) pour convenir de la date, de l’heure et du lieu (en dehors des agences) et éventuellement de la modalité (physique ou par téléphone) où aura lieu l’entretien de diagnostic. Pour un motif précis, le privé d’emploi a le droit de demander le report à une autre date de ce premier rendez-vous. Le prestataire doit au minimum contacter 3 fois le demandeur d’emploi et faute de réponse, la date du premier rendez-vous est imposée et communiquée par courrier au privé d’emploi.
Comme pour AccélèR’emploi, c’est au cours de ce premier rendez-vous que le privé d’emploi peut mentionner son refus d’adhérer à la prestation, en mentionnant « ne souhaite pas suivre la prestation car les prestataires privées sont payées à la commission » sur la charte d’adhésion, et en inscrivant « souhaite être suivi par le service public de l’emploi » sous la signature sur la feuille de présence et garder une preuve par photocopie ou photographie de cette mention.
Derrière la nouvelle formule creuse de « permittents » : ficher, stigmatiser et culpabiliser les travailleurs précaires
Cette prestation, dont l’objectif affiché est de « favoriser la stabilité professionnelle des bénéficiaires (…) et est proposée aux personnes qui souhaitent trouver un emploi durable », apparaît tout d’abord comme profondément inadaptée, vu qu’elle intervient suite aux terribles conséquences économiques du Covid 19, qui ont vu 1 millions de travailleurs précaires perdre tous leurs contrats. Le nombre d’inscrits dans les catégories B et C (quelques heures travaillées dans le mois) a littéralement fondu, au vu de la destruction massive des emplois. A quoi sert donc que le Conseil d’administration de Pôle emploi vote en juin la création de 2 nouvelles prestations en direction d’un « public » qu’il sait avoir disparu ?
Des éléments de réponses figurent dans l’analyse des conditions et des enjeux de cette prestation, particulièrement graves et inquiétants :
- Pour ces deux prestations, le coût global s’élève à 92 millions d’euros ! Alors que, selon Pôle Emploi lui-même, « toutes les évaluations ont démontré que l’accompagnement par Pôle emploi assure, pour un coût moindre, un meilleur retour à l’emploi des demandeurs d’emploi que celui confié aux acteurs privés » (idée reçue N°9), l’institution s’obstine à privatiser ses propres services. Tout ça pour que les actionnaires des « opérateurs privés de placement » puissent se gaver du pognon des chômeurs, tout en leur mettant la pression, et donc faire baisser les chiffres du chômage (un chômeur radié n’apparaît plus dans les chiffres).
Pire, si dans la moitié des régions, le prestataire sera rémunéré selon l’obtention par le demandeur d’emploi d’un CDD de 6 mois minimum suite à la prestation, les différents prestataires retenus ont obtenu de Pôle Emploi qu’on leur verse une sur-prime, si moins de chômeurs que prévus dans le marché public leurs sont adressés ! En clair, Pôle Emploi s’engage sur un nombre global de prestations à placer auprès des chômeurs et, si cet objectif n’est pas atteint, les prestataires privés seront quand même payés ! Cela dit bien qu’en plus de gaver le privé de millions d’euros sur le dos des chômeurs, aller plus loin dans la privatisation du service public de l’emploi est le réel objectif. Dans cette configuration, peu importe la qualité de la prestation ou son efficacité dans l’objectif affiché d’un retour à un emploi « stable », puisque de toute façon le prestataire est payé presque à l’identique, quels que soient les résultats !
- Les travailleurs précaires auxquels ces prestations s’adressent sont ceux qui enchaînent régulièrement des contrats de travail (CDD ou intérim), c’est-à-dire plusieurs contrats de 1 semaine voire moins au cours d’un mois, plusieurs mois dans l’année, auprès du même employeur. On pourrait alors penser qu’établissant ces relations très régulières de travail avec le même employeur, une prestation visant au « retour à un emploi durable » se concentre sur le fait d’interpeller l’employeur (très) récurrent, pour savoir pourquoi il ne recrute pas ce travailleur précaire en CDI, et notamment si ces différents contrats ne relèvent pas d’un besoin permanent qui, même à temps partiel, impose la signature d’un CDI plutôt que de contourner la loi en multipliant les contrats, à l’origine d’une précarité permanente et organisée, dont souffrent les travailleurs précaires. Tout au contraire, le cahier des charges de la prestation encourage l’opérateur privé à cibler ces travailleurs précaires en faisant remonter leurs identités à Pôle Emploi, mais aucune condition n’est imposée pour interroger ou interpeller les employeurs ! Les seules attentions sont portées sur la responsabilité et donc la culpabilisation du privé d’emploi stable, volontairement ciblé et rendu seul responsable de sa précarité. Cette attaque très idéologique est particulièrement rendue visible avec l’émergence de l’utilisation du qualificatif « permittents » qui, en remplaçant celui de « travailleurs précaires », vise à ne plus parler du tout de cette précarité organisée, à exonérer de toute responsabilité le patronat qui abuse du recours aux contrats précaires en contournant volontairement la loi et à insuffler l’idée scandaleuse que ce sont les privés d’emploi qui sont seuls responsables de ces contrats réguliers, quitte à mentir en insinuant qu’ils sont les coupables et non les victimes en les préférant à un contrat stable !
- Depuis le décret anti-chômeurs du 30 décembre 2017, une fois la prestation débutée, toute absence à un atelier ou un entretien est assimilée à un « abandon ou un refus de suivre une prestation d’aide à la recherche d’un emploi », avec comme conséquence une radiation brutale d’1 mois, pendant lequel on est privés d’allocation, sans compter que ce mois d’allocation chômage est définitivement supprimé, perdu. Impossible dès lors de ne pas voir que la multiplication de ces prestations, en plus d’être confiées au privé et avec un contenu bidon, sont autant d’étapes, d’ateliers ou d’entretiens pouvant conduire à des radiations.
Pour la CGT, derrière les économies, Pole emploi fait la chasse aux privés d’emploi, d’abord pour faire du chiffre et construire des fake news sur des baisses du nombre de demandeurs d’emploi et une préférence pour des contrats précaires plutôt qu’un CDI qui n’existent pas. Au final, alors que de réelles garanties d’un retour à un emploi vraiment stable sont inexistantes, c’est une nouvelle étape vers plus de pressions et de contrôle social sur les privés d’emploi, en allant toujours plus loin dans la privatisation du service public de l’emploi.